Rentre en Afrique connasse!
Avant d’avoir mis les pieds hors de mon pays, le racisme était pour moi un concept assez vague dans l’esprit d’une adolescente confortable dans son mode de vie et son environnement. Certes on en entendait parler à la télévision, à la radio, sur le web et sur les médias traditionnels mais c’était une réalité lointaine, et donc pas forcément assimilée par la jeune fille épanouie que j’étais dans mon entourage. Le premier bouleversement que j’ai connu s’est opéré au Maghreb, plus spécialement au Maroc. Dans mon imaginaire féerique, je venais passer un été mémorable avec des amis de longue date dans un endroit nouveau et dans une atmosphère qui ne pouvait être que bon enfant. Appartement spécialement loué pour l’occasion, parents à l’autre bout du monde, pas de chaperon, pas d’attaches, aucun compte à rendre, argent en poche ! Pour nous, l’occasion rêvée d’une éclate’ dans tous les sens du terme. Cependant, je vais tout de même très vite déchanter. Je ne dirai pas de mon séjour dans ce beau pays qu’il était catastrophique. On dira plutôt de lui qu’il fut « intéressant » parce que ce fut mon premier bain dans le monde « réel » (contexte dans lequel je ne suis pas qu’avec des individus que je connais depuis longtemps, mes compatriotes, ma famille, etc. Je ne suis plus « entourée » par mon cercle habituel qui me protège. ) intéressant en ce sens que se réalise un choc de cultures et de mentalités instructif pour moi.
Pour la première fois, je découvre que l’on peut me juger pour ma couleur de peau, et cette nouvelle donne change toute ma perception et des individus et du monde qui m’entoure. Aussi stupide que cela semble être, avant je ne savais pas que j’étais noire, du moins je n’en avais pas conscience. Depuis que je suis née, je vis dans un environnement noir. Pour moi être noir, c’est normal, ce qui fait que quand je vois un noir, je ne vois pas sa couleur de peau, je ne remarque pas que nous sommes noirs et que nous appartenons à une race à part entière. Cette vision des choses est brutalement changée lorsque je foule le sol marocain, je suis pourtant toujours en Afrique mais on me fait tout de suite comprendre qu’être Noir, « ce n’est pas commun, ce n’est pas normal ». Remise en question immédiate du monde de bisounours dans lequel je me confortais avant et que je peux résumer en une phrase : « Tous les individus sont égaux, sans aucune distinction ». En passant un été au rythme de « Aziya* » et « Drawiya* » injurieux, je découvre qu’on m’a menti à l’école tout au long de ma vie : » Que nous soyons Noir, Blanc, Jaune* ou Rouge* nous sommes tous frères », n’a jamais été aussi faux et vide à mes yeux. Venue pour me recréer au début, je découvre une population noire persécutée dans les rues de Rabat, je fais l’objet d’invectives lancées à mon encontre à Casablanca, à Mohamedia une jeune fille Noire est lapidée à en perdre un œil par des ados survoltés, à Agdal lorsqu’on vit sur les étages perchés d’un immeuble on attend qu’il y ait des noirs dans la rue pour vider les poubelles ruisselantes d’eau stagnantes sur leurs têtes. Sur les plages d’Agadir lorsqu’on est noire et qu’on se met en maillot de bain, on attire tout de suite les regards désapprobateurs, les moqueries et les provocations sexistes et racistes.
Si dans la capitale et dans les grandes villes l’on se comporte comme ça, je n’ose pas imaginer ce qui se passe à l’intérieur du pays dans des villes comme Marrakech ou Tanger. Je n’ai pas le temps d’y répondre car bientôt je prends mes jambes à mon cou et revient à Conakry, traumatisée par ce qu’être noir peut signifier dans d’autres contrées….(bien que toujours) en terre africaine. C’est ainsi que lorsque j’obtiens mon baccalauréat, mes parents me proposent le Maroc en troisième option au cas où pour une raison ou une autre je ne parvenais pas à venir en France ou au Canada comme initialement prévu, j’y oppose un refus catégorique et décisif : Je préfère rester en Guinée et y faire une fac privée. Car voyez-vous mis à part le côté décadent très prononcé dans ce pays qui entraîne assez souvent les étudiants étrangers dans une débandade que je n’ai pas omis de remarquer (prostitution de la gent féminine, argent facile, drogue, etc, abandon universitaire … ), je ne sais pas pour vous mais moi, pour que je puisse être productive et même vivre dans un pays il faut que je m’y sente un minimum à l’aise et en sécurité. C’est indispensable du point de vue psychologique et c’est aussi un fait avéré.
Dans une société, les relations à l’individu peuvent être un stimulant si elles se déroulent bien ou un frein lorsqu’elles sont un échec. Or au Maroc, je me suis sentie harcelée et mal-aimée, pour ne citer que ça. Aujourd’hui lorsque je parle de cet épisode vécu, pour justifier et expliquer ce racisme on me sert des arguments comme :
-Les marocains sont un peuple fermé sur eux-même, peu instruit pour la plupart. Pour eux c’est normal d’agir comme ça, crois-moi ils sont restés à l’époque pré-historique.
Ou
– C’est bien connu qu’ils sont bêtes ces gens là, ils ne se considèrent même pas comme des africains, c’est pour te dire. Dis toi que les vrais blancs ne sont pas comme ça. (Un autre mensonge éhonté que je découvrirai plus tard.)
Je veux bien les croire à quelques endroits, parce que du peu de marocains instruits que j’ai rencontré j’ai plutôt été agréablement surprise. Certains m’ont défendu à maintes reprises dans la rue ou dans le train. J’avais même entamé une jolie amitié avec une marocaine de mon âge rencontrée dans le bus. Ainsi je me dis que ce racisme pur et dur vient sans aucun doute du taux d’analphabétisme dans la population marocaine. J’essaie de me consoler tant bien que mal avec ces bribes d’explications désordonnées, même si je sais au fond de moi que c’est un pays dans lequel je ne retournerai pas de sitôt.
Les choses se passent finalement comme prévues et je débarque à l’aéroport Orly de Paris pour poursuivre mes études avant de rejoindre ma ville. Je me dis que les français sont tout de même une population plus évoluée mentalement et que je n’aurai pas de problèmes comme ça ici. Ne m’a-t-on pas dit que les « vrais » blancs n’étaient pas comme ça ?
Et à vrai dire depuis trois ans maintenant (j’entame la quatrième année) je n’ai jamais vécu de racisme concret, palpable, face à face. J’ai certes déposé des CV qui n’ont d’emblée pas été reçu, j’ai essuyé de mauvais regards de temps en temps, on m’a refusé la location d’un appartement mais à chaque occasion je ne pouvais dire avec certitude si c’était en raison de ma posture, de ma présentation, de quelque chose que j’aurai mal fait ou à cause de ma couleur de peau. Certains me diront que c’est parce que les français sont dans une optique plus hypocrite, un racisme plus nuancé. Ils vous approuvent et sourient en face mais derrière ils n’hésitent pas à dire du mal de vous et à mettre les bâtons dans les roues de votre progression. Qui a raison, qui a tord je ne saurai le dire…
Ceci était du moins vrai jusqu’à… hier. J’entame une journée de travail comme une autre lorsqu’une cliente m’agresse sans justification. Je ne sais pas ce qui fut le pire, ne pas pouvoir me défendre correctement parce que l’entreprise pour laquelle je travaille applique l’équation du « client a toujours raison; le client est roi » ou l’état dans lequel je me suis trouvé après. Vers 15h30 je reçois une dame, brune, la trentaine, les yeux marrons environ 1m50. Elle veut coûte que coûte que je lui donne les jetons d’un jeu que l’entreprise fait en ce moment (on y gagne des voitures, des tablettes, des bons d’achat, etc) sous prétexte qu’une de mes collègues aurait oublié de lui en donner hier après ses achats. Je lui affirme alors gentiment mais fermement que je ne suis pas habilitée à donner des jetons de jeux sans preuves d’achats et je la redirige vers l’accueil où elle pourra expliquer son problème à mes supérieurs hiérarchiques. La cliente rentre dans une colère noire et me foudroie d’un :
_Oui c’est ça, rentre chez toi en Afrique connasse.
Auquel je réponds:
_Après toi bouffonne. Qu’elle n’entendra malheureusement pas puisqu’elle avait déjà tourné les talons.
Il est clair que dans d’autres circonstances, j’aurai lavé cet affront différemment mais j’étais à mon lieu de travail et on attendait de moi une certaine tenue. Une de mes responsables qui passait par là et témoin de l’action m’envoya immédiatement en pause pour « digérer » la remarque. Je vis dans son regard qu’elle était peinée que j’eus à subir ça. Elle s’excusa en affirmant qu’il y avait des cons partout et que j’avais eu raison de rester calme. Il fallait que prochainement j’appelle l’agent de sécurité qui mettrait le fouteur de trouble dehors sans hésitations. Elle tentait de me consoler comme elle pouvait.
J’aurais aimé être forte, subir ce genre d’attaques et rester stoïque mais je m’effondrai tout de même dans les vestiaires des filles quand je fus seule. J’avais besoin de pleurer un bon coup avant de me ressaisir car qu’on le veuille ou non c’est le genre de remarque qui vous montre que vous n’êtes pas chez vous quoi que vous fassiez et ce rien qu’à cause de votre couleur de peau… J’aurai pu être née en France et n’avoir jamais foulé le sol africain mais pour cette personne ça n’aurait rien changé puisque peau noire= Afrique= pauvreté.
J’aurai également pu prendre les choses de façon ironique et lui répondre avec un sourire fabriqué plaqué aux lèvres :
_Volontiers, si tu me paies le billet je rentrerai avec plaisir.
En faisant passer mon pays et mon continent pour un eldorado. Mais ce ne serait pas très véridique. Le seul fait de penser qu’en me disant « rentre en Afrique », je l’aurais pris pour une injure est tétanisant. Ça n’aurait pas été une insulte si les dirigeants africains (plus précisément sub-sahariens) se rendaient compte qu’en refusant de travailler dans nos pays, ils hypothéquaient l’avenir de millions de jeunes africains dont on se moque à l’autre bout du monde. La vérité c’est que cela soit au Maroc, en France ou dans un autre pays, peu importe la forme que cela prendra, les africains noirs subiront toujours ce type d’amalgames tant qu’ils ne lutteront pas de façon active pour leur developpement et une croissance économique soutenue.
*Aziya: Noir
*Drawiya: Esclave
*Jaune: Asiatique
*Rouge: Indien autochtone d’Amérique.
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