« Le Crocodile du Botswanga » Une oeuvre entre clichés et déjà-vu
« Le crocodile du Botswanga » est l’un des box-office qui a fait son entrée début d’année 2014, aux alentours du 19 février si je m’en rappelle bien. De nombreux français et étrangers tout horizon ont formé de longues files d’attente pour acheter les précieux tickets qui donnaient accès aux sésames : les grandes salles de cinéma.
Personnellement, je ne me suis pas précipitée lorsqu’on nous l’a dévoilé au grand jour. Non non… Prudente, j’ai préféré attendre l’avis de plusieurs amis avant de me lancer dans cette aventure cinématographique! Ce que je ferai une semaine après sa sortie, après avoir estimé que d’avis positifs, j’en avais assez eu.
Pour être franche, celui qui m’accompagnait traînait aussi du pied pour voir ce film ci en particulier. Et pour cause il était plus ou moins hésitant sur sa qualité. Je me suis tout de même employée à un certain nombre de ruses pour parvenir à le convaincre. Vous vous doutez bien que si je m’y mets, personne ne résiste à mon pouvoir de persuasion 🙂 .
C’est sur Facebook que je me décidai vraiment, de nombreuses publications faisaient état du caractère drôle, intéressant et palpitant du film. Il y avait en plus un argument imparable qui revenait à tout bout de champ. On nous a dit : « C’est inspiré de Dadis Camara ! » Qui est Dadis Camara me dîtes-vous ?
Eh bien aimables lecteurs, Dadis Camara est LE phénomène et si vous n’avez pas connu l’époque du « Dadis-Show » vous n’avez jamais rien connu. Ancien président de la République de Guinée (vous comprenez pourquoi j’ai tout de suite été sous l’emprise d’une curiosité fulgurante) arrivé à la tête du pouvoir grâce à un putsch militaire et à la suite du décès de l’ancien président, Moussa Dadis Camara est un étrange personnage qui fait son apparition dans le paysage politique ouest-africain et plus particulièrement celui guinéen en 2008. Il fut en effet président du CNDD (comité formé essentiellement de militaires) et donc de facto président de la république comme je l’annonçais plus haut. Mais président auto-proclamé pour la communauté internationale et le reste du monde en raison du fait qu’il n’ait pas été élu démocratiquement au sortir d’un scrutin national et blablabla… ( Pour la suite, rendez-vous sur Google. Si vous craigniez un cours d’histoire politique, rassurez-vous il n’en sera rien. Je ne vous livre là que la version courte.)
Intéressons nous aux facettes de l’histoire de cet homme qui ont un rapport avec le film que je me suis modestement permise de décortiquer.
Une fois à la tête du pays, l’on découvre quelqu’un de très instable et agité. En effet le jeune président alors âgé de 44 ans ne sait plus où donner de la tête. Il gère les affaires du pays tant bien que mal mais favorise surtout une « communication » claire et limpide avec le peuple au nom d’une sincérité sans bornes, citant cette qualité comme un trait de caractère décisif de sa personnalité. L’histoire ne nous dit pas si c’est vrai mais question modestie ? On repassera plus tard.
C’est ainsi que vont être retransmises par dizaines des auditions que le président Moussa Dadis Camara fait passer à des opérateurs économiques soupçonnés d’être corrompus jusqu’à la moelle épinière, des fonctionnaires du secteur public comme du privé, des fonctionnaires internationaux comme des ambassadeurs et tenez-vous bien, même des militaires et agents de douane (des individus logiquement de son camp). Ces derniers passant tous à la trappe des injures et des humiliations publiques. Ces auditons remportent un franc succès et la chaîne nationale voit son taux de spectateurs gonfler! Partout à travers le monde le « Dadis-Show » devient un phénomène. La Radio Télévision Guinéenne (RTG en abrégé) devient un vrai feuilleton que les guinéens ne ratent sous aucun prétexte. Certains vous le confirmeront peut-être. La raison ? Moussa Dadis Camara a le tempérament chaud, le sang ébouillanté et un caractère bien trempé! Devant des guinéens médusés face à leur poste de télévision, l’on voit un être bipolaire passant de la rigolade au pic de colère, sautant du coq à l’âne, de sujets sérieux à d’autres futiles, et ayant une haute opinion de sa personne pour avoir fait de « hautes » études universitaires Dieu sait où. Mais par dessus tout, il a horreur d’être contrarié. Au délà de la RTG, de nombreuses vidéos de Dadis Camara font irruption sur Youtube et envahissent la toile. Je ne serais donc pas étonnée si l’on me disait que l’un des créateurs du film dont nous parlons, était tombé nez à nez avec l’une d’entre elles.
C’est ainsi que lorsqu’on me dit que le personnage du dictateur interprété par Thomas N’gijol dans le film est inspiré de ce cher Dadis, je suis définitivement conquise et me dirige d’un pas sûr vers les places assises de la salle 4 du cinéma Gaumont Pathé Wilson, m’attendant à vivre un moment magique qui…malheureusement n’arrivera pas jusqu’à la fin du film. Des 90 minutes qui se sont écoulées, j’avoue avoir ri à certains passages. D’autres cependant étaient tellement grotesques que j’ai failli m’étouffer avec mon pop-corn mais pas de rire cette fois. Le film en lui même est une lamentable déception. D’ailleurs le public (je le verrai plus tard) l’a « moyennement reçu » avec une note de 2,8 sur 5 (source AllôCiné).
Je ne dirai pas que le film est mauvais tout court en m’arrêtant là. Car ce ne serait pas vrai. En effet du point de vue de la réalisation, du jeu des acteurs, ou des décors (très beaux pour la plupart, ils m’ont rappelé ma belle Afrique), c’est une œuvre du genre comédie qui se défend assez bien. Le film est mauvais par son scénario. Il véhicule de bons vieux préjugés dont le continent a beaucoup de mal à se défaire. On y présente l’africain comme quelqu’un de corrompu, mangeant beaucoup d’épices, antidémocratique, paranoïaque et barbare. Ce que je lui reproche en principal c’est d’expressément cantonner l’Afrique et les africains à ces pratiques peu scrupuleuses. Certes il y a beaucoup de corruption, certes il y a des dictateurs (pas plus qu’en Asie ou ailleurs cependant) mais l’Afrique est aussi un continent qui bouge! Certaines mentalités décrites dans ce film sont dépassées. L’on ne fait pas que roter et se pavaner sous le soleil, il y a aussi des travailleurs qui gagnent honnêtement leur vie mais cette partie a été (volontairement ?) occultée.
Tout au long de la projection, je n’ai pas eu la nette impression que ceux qui l’ont conçu se soient beaucoup embêtés ou se soient de quelque manière tués à la tâche. Ils se sont dit : « Allez on met quelques crocodiles par là, un président fou ici, des opposants qui disparaissent, une première dame qui ne s’occupe que de son apparence, un jet dans lequel tout le monde veut monter (le cliché que j’y lis est que l’africain sous-développé raffole du matériel de luxe) on agrémente un peu avec quelques scènes érotiques (ma foi invraisemblables à quelques endroits) on mélange le tout avec des dialogues tout droit tirés de Youtube et on leur balance ça! Ma question est où se trouve la créativité dans tout ce bazar? Car le cinéma est tout de même un art! le septième à ce qu’il parait.
Certaines répliques sont sans détours extraites des discours de Dadis Camara ( réf. l’hilarante scène où le président demande l’âge d’un de ses fonctionnaires et le trouvant trop vieux pour être toujours à son poste le met (à l’oral) et immédiatement à la retraite sans autre forme de procès). Le pire c’est qu’ils ne l’indiquent nulle part ça qu’ils l’ont piqué dans un feuilleton de Dadis-Show. Je m’attendais à un clin d’œil des scénaristes qui revenait de droit à la Guinée. Que nenni, il n’y en aura point. Ce que j’appelle purement et simplement de la malhonnêteté intellectuelle. Car voyez-vous si je n’avais pas été guinéenne je n’aurai jamais su par exemple que certaines scènes (les plus drôles d’ailleurs) n’ont pas été imaginées par la production elle-même mais qu’elles ont été empruntées ailleurs. La moitié des spectateurs ne le sait peut-être pas d’ailleurs. Tout le mérite revenant donc à des scénaristes pourtant en manque sévère d’imagination. Les producteurs ont tenté de se rattraper dans quelques interviews post-projections en indiquant qu’ils s’étaient en effet aussi inspiré, je cite: « d’un recent président militaire peu connu de la Guinée pour leur film, l’ex putschiste Dadis Camara ». Une reconnaissance qui vient un peu tard à mon goût et qui est certainement venue après qu’ils se soient fait tapés des doigts pour qu’ils avouent. Aucun effort aussi bien dans les dialogues que dans les actions des personnages… Rien ne m’a bluffé, tout dans ce film avait le goût du réchauffé, excusez du peu. Un amateur avec les fonds nécessaires aurait fait mieux.
Du tumulte qui a précédé la sortie de ce box-office et qui laissait augurer un dénouement des plus heureux et remarquable, l’on retiendra donc que c’est un film à regarder plutôt chez soi, sur son ordinateur tranquillement au lit ou sur son écran plasma, avec quelques potes de préférence pour les rires aux éclats tonitruants mais aucunement pour lequel il faut (absolument !) se déplacer et payer une place de cinéma. Tout ce bruit pour pas grand chose au fond car le jeu n’en valait décidément pas la chandelle…
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