Tu ne me battras plus
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Désormais, je devrai lever la tête, marcher avec fierté et tenir bon. Pourquoi ? Parce que désormais je marcherai seule, je n’ai plus d’attaches, je ne vis que pour moi. Je prendrai mes décisions toute seule. Je ne suis plus liée à personne, ma barque navigue toute seule sur cet océan tumultueux qu’est la vie. Je sais qu’il y aura des vagues, les unes plus monstrueuses que les autres, mais je me promets de ne pas lâcher prise. Je me promets d’être forte, car ça y est je te quitte.
Je prends mon courage à deux mains et je m’en vais, loin. Loin de toi. Je veux avoir la vie sauve, je ne veux pas mourir seule, loin des miens dans ce petit appart’ que l’on appelait maison. Ce sera dur sans toi, je le sais, les gens parleront, nos connaissances diront des choses, les ennemis affirmeront avec fierté » On vous l’avait dit que ça ne marcherait pas ». Mais peu importe maintenant. Avant, toutes ces raisons m’empêchaient de partir, sans compter l’immensité de l’amour que je ressentais pour toi. Je n’ai jamais voulu donner raison aux détracteurs, mais dans certaines situations il faut se mettre au-dessus de ça.
Aujourd’hui je te hais. Je te hais pour toutes les fois où tu as levé la main sur moi, me brutalisant comme un animal. Je te hais parce que tu as promis de me protéger et que maintenant j’ai la tempe gauche ouverte par ta faute. Ma tête tu l’as prise et tu l’as cognée contre le bois dur du canapé sans empathie, mes nattes ont été tirées avec toute ta force, celle d’un homme sur une femme fragile. J’ai reçu une gifle magistrale sur ma joue déjà baignée de larmes. Tu m’as tenu la bouche pour étouffer mes hurlements, ne voulant pas alerter les voisins sur tes agissements. Peu importe le fait que je ne respirais plus, le nez bouché, la bouche fermée de force, l’important c’est que les gens de l’autre côté du mur ne perçoivent rien de ce qui se tramait ici. Tu m’as lancé tes clés à la figure, une clémentine que tu t’apprêtais à déguster. Tu m’as cognée avec tes pieds, tu m’as piétinée, tirée par les cheveux. Je ne pleurerai pas en écrivant ça, je me le promets et pourtant j’ai les yeux embués. La douleur est trop grande, profonde. J’ai des courbatures, ma cuisse est enflée parce que tu as appuyé dessus. Si j’étais blanche, j’aurais eu des bleus partout sur le corps, des bleus que je devrais expliquer, mais encore une fois je bénis ma peau noire, complice de mon camouflage.
Lorsqu’on m’a demandé hier au travail pourquoi j’avais une entaille et que j’étais maussade, j’ai prétexté être tombée. Je ne sais pas ce qui est le pire, que ce ne soit pas la première fois d’avoir subi ce traitement ou que tu nies que tu es homme qui bat les femmes. Une fois en sortant d’une fête, complètement bourré tu m’as brutalisée devant ton ami qui l’était tout autant que toi, tout ça parce que j’avais parlé avec d’autres garçons pendant la soirée. Non seulement tu m’avais ignorée toute la soirée après une énième dispute, mais en plus ce n’était que des amis. Ce jour-là, j’ai eu la honte de ma vie, mais je suis restée.
L’autre fois à la télévision, on a vu un couple dont le mari brutalisait sa femme. Je t’ai interpellé pour que tu te sentes concerné, je voulais te faire passer un message. Mais tu m’as dit :
_Moi, je ne te frappe pas, je te bouscule juste un peu et puis c’est pour te faire peur.
J’ai compris à cet instant que tu n’admettras jamais que tu fais partie de ces gens qui dans un accès de colère démesuré battent leurs femmes à mort. Tu as nié, je n’ai pas insisté. Tu dis que tes coups ne sont pas forts, tu dis que tu les donnes uniquement dans le but d’effrayer, pourquoi ai-je la peau ouverte alors et les os douloureux ? Est-ce toi qui reçoit les coups pour en juger ? Peut-on seulement estimer les dégâts que peut occasionner la force d’un homme sur une femme? Peut-on oser comparer ?
Et pourtant je t’aurais suivi jusqu’au bout, vaille que vaille jusqu’en enfer. J’aurais été un soutien indéfectible, j’aurais consenti à plein de sacrifices pour toi, pour nous, pour ce que l’idée de couple représente à mes yeux. J’aurai décroché la lune, je m’en sentais capable, vraiment. Mais aujourd’hui, je te quitte, je m’en vais. Je veux rester en vie et donner naissance à des enfants. Je veux les voir grandir. Tu m’as insultée, rabaissée à chaque fois que l’occasion s’est présentée. A chaque dispute, tu me jettes à la figure que tu regrettes d’avoir quitté ton ex (qui subitement devient parfaite) pour moi. Tu me fais de nombreux reproches et sentir que je suis une moins que rien. Tu prédis que je finirai seule, vieille fille avec personne à mes côtés. Tu me balances des horreurs qui ont pour but de remettre en question ma féminité, ma confiance en moi. Mais ces horreurs n’ont plus guère d’effet sur moi, c’est comme un refrain qui me laisse indifférente. Lorsqu’un homme s’approche de moi, tu deviens jaloux, colérique et de toute façon » on ne peut s’intéresser à moi que pour mes fesses ». Ce sont tes mots. Pourtant toi tu t’es bel et bien intéressé à moi pour autre chose, tu as adoré mon esprit vif et mes reparties. Mais ça c’est bien loin.
Aujourd’hui tu es ce macho qui ne supporte pas qu’on le contredise, qu’on lui dise non. Ta parole ne doit souffrir d’aucun doute. J’ai osé remettre en question (en faisant des recherches) un avis que tu m’avais donné sur un sujet, tu me l’avais asséné comme une vérité inébranlable. Tu m’as battu pour ça comme si j’étais faite en bois et fer, je suis pourtant aussi la fille et la sœur d’autrui. Dans ces yeux étrangers qui me fixaient avec dégoût, j’ai vu de l’animalité. C’est cela que je fuis en partant. J’ai menacé à plusieurs reprises de te quitter, aujourd’hui certains ne me croient pas, ils disent que je reviendrai. Je leur lance ce défi.
Et pourtant tu m’as promis à nombreuses reprises de ne plus lever la main sur moi. Tu l’as promis à ta sœur qui découvrait ce caractère en toi, à ton meilleur ami qui intervenait à chaque altercation. Mais tu ne changes pas, bien au contraire je ne te reconnais plus. Si avant il te fallait une raison » valable » pour me brutaliser, aujourd’hui le seul fait de te dire que ce que tu as dit n’est pas vrai suffit.
On m’avait pourtant prévenue » s’il te bat une fois, il te battra toujours « . Je me suis entêtée. Parfois, j’allais jusqu’à te trouver des circonstances atténuantes, te défendant bec et ongles en affirmant à qui veut l’entendre que tu t’étais excusé à genoux à mes pieds. Mensonges éhontés. Tu t’excuses certes, mais banalement, rapidement et souvent au coucher sur le lit en prélude à autre chose…
Je ne dis nullement que je suis sans défauts, que je n’avais pas ma part de responsabilité dans nos disputes. Mais aucun d’eux ne nécessitait un tel traitement pendant tout ce temps. Jamais mes parents ne m’ont battue, pourquoi toi ? Certaines filles me trouveront faible d’avoir subi tout ça et pour les féministes qui passeront par là je serai peut-être même une honte à la cause féminine. Pourquoi n’ai -je pas porté plainte ? Parce que je t’aimais, et ça je n’ai nullement honte de le dire. Mais aujourd’hui je pars, je m’en vais sans me retourner, alors soyez fiers de moi.
Je reconnais que j’ai été heureuse, par moments, à ma façon. Mais ces moments de bonheur comme volés ne suffisent plus à cacher tout le reste. Oui je sais que ce sera dur, mais moins dur que de subir des coups et des excuses tour à tour. C’est dur d’admettre que quelqu’un d’avec qui tu avais des projets n’est pas le bon. Mais au-delà de tout ça, c’est dur d’admettre que les années consacrées à cette relation sont à jeter dans la poubelle. Le temps est quelque chose de si précieux et j’ai clairement l’impression de l’avoir gaspillé. Je pars avec tous mes défauts que tu jugeais opportun de comparer aux autres filles, je pars parce que tu n’as pas su remarquer et encourager mes progrès.
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Alors, félicitez-moi parce que cette fois, je fais le deuil de cette relation pour de bon.
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