L’inconnu du métro
*
Je ne le savais pas mais toi tu m’avais déjà remarquée avant même que le métro ne s’arrête. Seulement, moi la tête dans les nuages comme d’habitude je dodelinais de la tête au rythme de la musique que j’écoutais dans mon casque. Aujourd’hui je peux encore parfaitement te dire ce que j’écoutais : Jubel de Klingande. Lorsque le métro s’arrêta, les portes palières s’ouvrirent et à mon tour je t’aperçus. Tu étais grand, les yeux profondément bleus ou verts, sur le coup je n’aurai pas su dire. Les cheveux négligemment relevés au dessus de ton front. Tu portais un smoking à la coupe parfaite. Tu semblais tout droit sorti d’une revue de mode et je me demandais où tu allais ainsi habillé. Je ne sais pas si ce fut ce qui me fit tilter mais je m’observai sur le champ, avec mes converses crasseuses d’avoir marcher dans la boue, l’énorme écharpe tricotée par mamie enroulée autour de mon cou dans laquelle s’engloutissait mon visage glacé par la brise froide de l’hiver. Je portais un legging panthère, un gros manteau pour me protéger de la pluie couvrait ma carrure chétive et mes cheveux mouillés partant dans tous les sens complétaient le cadre. Je n’étais pas à mon avantage, c’était le cas de le dire. Tu descendais dans deux arrêts et moi dans trois. Durant tout le trajet, tu me regardais et moi aussi, lorsque nos yeux se croisaient je baissais immédiatement la tête sur mes chaussures. Ton regard avait quelque chose de profond et de magique à la fois.
La mélodieuse voix de la speakerine annonça ton arrêt : François Verdier. Mais tu ne descendis pas. Je ne compris pas tout de suite que tu comptais me suivre. Lorsque tu m’emboîtas le pas pour monter l’escalator derrière moi, j’exultai intérieurement. Irions-nous dans la même direction ? M’aborderais-tu ? il y avait foule de questions qui se bousculaient dans ma tête, complètement envoûtée par ton regard transparent. J’optai finalement pour le bleu Azur s’agissant de leur couleur. A la sortie du métropolitain, j’aurais pu prendre le bus pour me rendre chez moi, d’ailleurs d’habitude la fainéante que je suis le prend toujours parce que je n’aime pas trop marcher. Mais en cette fin d’après midi là je choisis de marcher ne voulant pas rompre le caractère romantique de cette rencontre, NOTRE rencontre. Car oui j’étais persuadée que tu viendrais me parler et me demander mon numéro. Sous ton costume noir, je devinais un corps parfaitement sculpté. Des bras légèrement musclés, des épaules imposantes et une poitrine qui ferait le bonheur de chaque femme qui viendrait s’y glisser, y trouvant refuge et logis. Avec le son de la musique dans mon casque je me projetai instantanément dans le futur avec toi à mes côtés. Lorsque je me retournai pour voir si l’on se suivait toujours, ma mine se défit et tous mes rêves s’envolèrent comme par enchantement, tu avais disparu. J’étais dégoûtée. Plus tard avec du recul je compris ma bêtise et je ne pus m’empêcher de sourire devant tant d’enfantillages. J’étais maintenant à deux pas de chez moi. C’était tellement absurde de passionnément s’imaginer en couple avec un parfait inconnu. Tu aurais pu être n’importe qui le mari d’une autre, du moins le compagnon, un psychopathe etc. Sauf que… sauf que tu n’étais rien de tout ça. Tu étais Gilles, tu devins mon Gilles puisque tu vins m’aborder en m’invitant à dîner le soir même. Tu surgis de façon si soudaine, inattendue et improbable mais tu étais bel et bien là, plus attendrissant que jamais. J’étais folle d’accepter, je ne te connaissais pas mais je le fis tout de même. Je me jetai à l’eau et ce fut la plus belle chose que je fis de ma vie.
Maintenant, tu m’emmenes ouvrir le bal de notre réception de mariage et on danse sur du … Jubel. Nos familles sont là, on est heureux, on a vécu cent mille choses. Je t’ai détesté et aimé avec une telle fureur. Tu m’as rendue accro, nous deux c’était comme une drogue dure dont je ne pouvais plus me passer, dévastatrice. J’ai pleuré quand cette fille t’a accosté au restaurant où on déjeunait, je t’ai vu la regarder et il y avait une certaine lueur dans tes yeux, une lueur de conquérant qui m’a brisé car j’ai su, j’ai compris que cette fille te plaisait. Notre relation t’ennuyait déjà au bout de deux ans. Qu’avions-nous fait de notre couple? la routine et la lassitude avaient-ils tout emporté ? Je m’en suis voulue, je t’en ai voulu de ne plus me trouver aussi attirante que cette minette qui t’allumait effrontément et dont je me retenais de gifler. Lorsque je la retrouvai dans le lit de notre appartement quelques semaines plus tard, je bondis sur toi te lacérant de mes ongles. La jeune fille prit ses effets et s’enfuit sans demander son reste.
J’avais vu venir cette trahison mais je n’ai rien fait pour la prévenir, trop persuadée de ton amour et de ta fidélité pour réagir de façon rationnelle. J’étais obnubilée par toi, je ne voyais que toi et rien d’autre. Tu étais mon compagnon et mon meilleur ami. Ta famille m’adorait et je le leur rendais bien mais tu m’avais humiliée. Je partis donc juste après ton amante, valises faites le cœur en morceaux, l’orgueil dépiécé te laissant seul, désemparé et me suppliant à genoux de te pardonner.
Aujourd’hui pourtant je porte ton nom de famille, je suis fière de m’appeler comme toi. Au changement de musique, ton père prend le relais et nous dansons lui et moi tandis que tu invites ma mère à venir esquisser quelques pas avec le jeune homme qui est devenu son beau-fils. Ton père me fait valser comme un père avec sa fille et pour cause, il y a belle lurette qu’il m’a acceptée et que je suis intégrée dans ton clan familial. C’est d’ailleurs ce que tu utiliseras pour me dompter et apprivoiser mon pardon.
Après t’avoir surpris avec cette jeune adolescente de 17 ans tout au plus, pataugeant dans ce qui n’était certes pas encore le lit conjugal mais qui avait tout de même un caractère sacré à mes yeux, je coupe les ponts et je ne donne plus de nouvelles. Il me coûte de m’éloigner de toi, je grince des dents. Je tiens jour après jour et me voilà depuis six mois sevrée de toi. Je veux me convaincre que tu es un salop coureur de jupons mais je n’y arrive pas. Tu m’inondes d’appels et de messages mais je tiens bon. Tu t’inquiètes, tu dépéris tu n’arrives pas à dormir ni à travailler. Je te manque atrocement aussi. Je le sais parce que ta sœur est dans la confidence, elle me dit tout de toi dans l’espoir de faiblir ma détermination à te quitter. De même elle est la seule à savoir où je me terre depuis notre séparation. Tout le monde me supplie de revenir et de te pardonner ton écart mais je refuse. J’affirme devant qui veut l’entendre que tu me dégoûtes. Tes sœurs s’arrachent les cheveux devant tant d’obstination mais tant pis, je résiste.
Je me suis mise en congé maladie et je vivote dans une coquette petite auberge d’un village midi-pyrénéen. J’exige de ta sœur qu’elle garde le secret. Je jardine, je profite du parc et de mes balades en forêt pour décompresser et jouir des choses simples de la vie. Je veux oublier cette image de toi avec elle qui me persécute. Un matin en revenant du marché du village, je croise ta mère sur le perron de ma maison et je maudis intérieurement ta sœur de n’avoir pas su tenir sa langue. Elle me lance un sévère:
_Alors tu comptes me faire entrer ou vais-je devoir reprendre tout de suite l’avion ?
Je souris même si en ta mère je vois celle qui vient prêcher la bonne parole pour son poussin. Je fais du thé et je l’écoute longuement sans l’interrompre. Elle me raconte sa vie de couple avec ton père, ses nombreuses infidélités, le retour au bercail et ses plus plates excuses. A l’époque c’est un homme puissant et les hommes qui ont du pouvoir attirent la convoitise. Elle est restée pour son mariage et ses enfants. Aujourd’hui c’est à ton tour d’être influent et elle me fait comprendre que j’aurais peut-être à faire de même . Mais elle me répète que le plus important c’est de distinguer ce qui est vrai du futile. Moi j’étais importante et l’ado c’était un écart, des futilités… Nous les femmes serions toujours dans ce genre de position et mon devoir de fiancée était de céder puisque tu regrettais déjà. Comme si ça excusait tout que tu aies des remords. J’avais horreur de cette vision machiste et obsolète du rôle de la femme. Cependant je ne dis rien. Mais au delà de ce rôle de femme pré-conçu et vieux jeu, la question est : cette relation était-elle assez importante à mes yeux pour te pardonner et revenir? Ou pouvais-je tout effacer d’un revers de la main ? Je compris que c’est là où ta mère voulait en venir.
_C’est bien d’avoir pris tes distances, tu le punis et c’est bien comme ça. Il souffre et c’est ce qu’il lui faut pour réaliser la place que tu occupes. Contrairement à son père je suis persuadée que lui ne le refera pas me souligne-t-elle un sourire au coin des lèvres.
Moi j’ai le regard dans le vide, je suis silencieuse et étonnée par toutes ces révélations.
_Il est anéanti, il vit un calvaire. Reprend-t-elle plus sérieusement. Mais la punition a assez duré, reviens lui, neuf mois c’est suffisant, tu ne crois pas ? Regarde où tu vis, vas-tu laisser des gamines s’emparer de lui et briser ce que tu as construit de tes propres mains ?
Je lui assure que non après avoir subitement réalisé le poids du sacrifice . Au diable les hésitations et les doutes ! Après tout aucune relation n’était parfaite et on se devait de réessayer et de bâtir la nôtre. Des milliers de femmes ont certainement déjà fait ce genre de concessions avant moi et je ne suis spéciale en rien. Moi aussi je veux bâtir un foyer qui perdure et résiste contre vents et marées. Cette discussion de femme à femme m’éclaire et me fait me poser les bonnes questions.
Les choses se sont alors rapidement faites. Je n’ai pas compris grand chose car dès mon retour à la capitale tu me demandais en mariage. En un rien de temps ma famille et la tienne étaient dans cette salle, nos amis de longue date ainsi que nos collègues. Tes sœurs étaient folles de joie et veillaient au déroulement de cette cérémonie au millimètre près. Tout le monde avait un mot gentil pour nous. Je me sentais en parfait accord avec toute cette atmosphère d’euphorie. Maintenant j’étais tienne pour la vie et tu me le prouvas encore plus lors de notre nuit de noces après une longue discussion où tu te confondais en excuses et explications abyssales. Je te fis taire d’un baiser, la nuit s’annonçait mouvementée…
Commentaires