Guinée, auras-tu appris de tes erreurs?
A l’orée de l’élection présidentielle guinéenne dont le premier tour s’est déroulé le 11 octobre 2015, le paysage politique a l’air de se décanter laissant apparaître les abysses (ou devrait-on dire les abîmes) d’une société guinéenne bien décousue, malheureusement.
Existe-t-il autre meilleure période que celle électorale pour voir, constater et toucher du doigt le manque d’éducation politique des Guinéens ? J’en doute. Car c’est pendant cette période qu’ivresse du pouvoir oblige, les uns et les autres se lâchent, se laissant aller à la laideur comportementale la plus obscène.
C’est lors des élections que subitement, les Guinéens se rappellent qu’ils sont d’ethnies différentes, portent des noms de famille différents alors que jusqu’alors ils cohabitaient relativement bien ensemble. Quoique dernièrement, en dépit de ce que l’on veut absolument faire croire à coups de slogans comme » la Guinée est une famille« , le tissu social guinéen s’est assez dégradé. Hier 9 octobre, pendant que des violences éclataient à Conakry, des messages incitant à la haine circulaient sur le réseau social Facebook.
Est-ce complètement utopique de penser que le pays aura appris de ses erreurs de la présidentielle de 2010 ? Lors du second tour qui opposait les deux candidats Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo respectivement d’ethnie malinké et peulh, on n’avait frôlé l’affrontement ethnique. De puantes stratégies politiques utilisées de part et d’autre ont fait en sorte que l’échiquier politique guinéen se soit transformé et désormais hiérarchisé en ethnies. Inéluctable résultat d’hommes politiques nullissimes et au niveau intellectuel souterrain, ne disposant d’aucun autre moyen pour « fédérer » des individus autour de leur idéal égoïste : celui de gouverner une nation. Individus manipulés, portés sur la violence qu’ils appellent pompeusement « militantisme politique. »
Mais qu’est-ce que la définition d’un militant politique ?
Un militant c’est avant tout quelqu’un qui partage les idéologies d’un groupe, groupe que l’on appelle parti politique en général. Mais s’il les partage, c’est que bien entendu il les connaît et les comprend. COMPRENDRE : verbe du troisième groupe signifiant assimiler, saisir par l’esprit, l’intelligence ou le raisonnement. Le militant politique aide à diffuser autant que possible le message du groupe auquel il est affilié parce qu’il y croit. Il participe à des meetings, des débats intellectuels, des échanges constructifs. Il pense que ce message, différent des autres changera positivement la destinée de son pays. Il paie des cotisations à la régie financière de son parti.
En Guinée, les militants sont en général des jeunes désœuvrés qui sautent sur la première occasion qu’on leur offre de rentabiliser ce temps à ne rien faire. En échange de quelques dérisoires francs guinéens, ils arborent des t-shirts à l’effigie de leaders politiques dont ils ne connaissent rien. Ils installent de grosses sonorisations qui diffusent du hip-hop (du hip-hop pour quel but ?) aux carrefours urbains qui tympanisent les riverains. Ils se livrent à des fresques dangereuses à moto sur les routes en jouant les fanfarons, beuglant des propos incohérents parfois provocateurs et occasionnant des embouteillages kilométriques qui empêchent les honnêtes citoyens de rentrer calmement chez eux. Ils sont agressifs (et ce tous bords confondus) et ont le dialogue en horreur. Toute contradiction est de suite réprimée. Ils n’ont aucune culture politique sur leur propre parti. Pour ne citer que cela…
Une récente étude plaçait la Guinée comme pays à forts risques de guerre civile et ce risque est encore plus exacerbé en période électorale, car on constate une ethnicisation du processus électoral. Au lieu de faire prévaloir la communication, on accentue les différences, on use à outrage de prétextes communautaristes et régionalistes. Le spectre du conflit n’est pas loin lorsque la majeure partie de population n’accorde aucun crédit à la Commission électorale nationale indépendante et qu’elle est prête à rejeter tout résultat qui ne lui paraîtrait pas véridique.
Premiers incidents répertoriés à N’Zérékoré dans le sud du pays, à l’heure où j’écris ce billet on fait état de nouvelles violences en début de soirée à Conakry lors de l’arrivée du candidat Cellou Dalein. Les Rpgistes (militants du RPG, parti du président Condé) et les Ufdgistes (militants de l’UFDG de Dalein) seraient une énième fois entrés en collision.
Notons au passage qu’il existe un vrai problème avec ces deux principaux partis et leurs militants. Les uns estiment qu’ils ont été lésés lors des élections de 2010 lorsque le candidat malheureux Cellou Dalein n’a juridiquement pas contesté les résultats en raison du climat déjà explosif régnant à leur sortie, ne voulant pas envenimer la situation. Ils ont maintenant la ferme intention de rattraper cet « échec » qu’ils considèrent toujours comme étant de la fraude électorale. Le système Waymark utilisé à l’époque par la Céni dans les bureaux de vote a été largement décrié. Puis de l’autre côté, le RPG qui compte bien rester au pouvoir pour « achever la mission qui leur a été confiée par le peuple ». Bienvenue dans le pays du dialogue de sourds.
Comme si la Guinée était condamnée au supplice de Tantale, ses fils se livrent à un éternel recommencement. Ils se sont montrés incapables de prendre exemple sur un pays comme le Burkina Faso qui s’est levé en un même et seul homme pour accomplir leur devoir patriotique de façon majestueuse. La jeunesse burkinabé fut un exemple pour l’Afrique, une et indivisible devant l’intrusion et la prise en otage du pouvoir par une frange de l’armée. En Guinée, ce cas de figure où la population mettrait de côté ses motivations personnelles pour le bien du pays, pour la démocratie serait impossible. Cette fois encore, je ne serai pas étonnée de constater que les Guinéens n’iront pas aux urnes sans dégâts et pertes en vies humaines.Tout est dans l’éducation politique et la mentalité encore une fois.
L’épidémie Ebola bien qu’inachevée sur le sol guinéen est passée de mode. Je reviens de Conakry où les pancartes publiques de sensibilisation et de prévention pourtant bien plus utiles ont été lentement mais sûrement remplacées par des banderoles électoralistes. Les points presses se font de plus en plus rares sur la maladie en dépit du fait que des centres Ebola soient encore présents sur le territoire guinéen. Des milliers de Guinéens se frottent et se touchent oubliant toutes précautions sanitaires lors de grands rassemblements creux et vaseux à l’honneur de politiciens égoïstes et avides de pouvoir. Les Guinéens ont désormais d’autres soucis que de se prémunir d’une maladie aussi grave, n’en déplaise à l’OMS qui n’a pas encore déclaré le pays « Free Ebola Zone »… Pendant ce temps-là, deux cas confirmés dans des centres de traitements et quatre suspects .
Inconscience à l’état pur vous me direz, et je vous donnerai raison.
Bref, la Guinée aura encore rendez-vous avec son destin ce 11 octobre. Saura-t-elle honorer ce rendez-vous ? Saura-t-elle se comporter en jeune homme élégant, galant avec la gente dame démocratie ? On y croit qu’à moitié… Ça semble mal parti, mais de bonne foi, on veut bien lui accorder le bénéfice du doute.
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