Déjouer les pièges de l’institutionnalisation de l’activisme
Lorsque nous avions démarré le mouvement « Guinéenne du 21e siècle » en 2016, nous voulions innover dans la manière de lutter pour les droits de la Guinéenne.
En effet, mon reproche principal au Ministère guinéen de l’Action sociale et de la Promotion féminine ainsi qu’à toutes ces structures/ONG déjà existantes était qu’elles s’étaient trop laissées absorber par les journées « de formation, de sensibilisation », etc., au point que celles-ci s’additionnaient sans cesse, alors que sur le terrain, aucun changement réel n’était constaté. Des femmes mariées légalement sont répudiées sans pension alimentaire ni autre forme de procès, piétinant ainsi leurs droits. L’excision bat son plein, les mariages forcés, le lévirat et le sororat demeurent d’actualité et le patriarcat brille de mille feux en Guinée.
Moderniser les moyens de lutte
Si la sensibilisation et l’éducation restent des moyens clés et indispensables pour faire évoluer les mentalités, il ne faut pas que toute la lutte ne se résume qu’à cela, me suis-je alors dit. Je ne comprenais par exemple pas comment, avec l’avènement du numérique, on n’essayait pas d’inclure des médiums modernes tels que les médias sociaux dans ce combat de longue haleine. Aujourd’hui, en 2017, lancer une campagne avec un hashtag lorsqu’on milite pour quelque chose est devenu presque naturel en Guinée, mais cela n’a pas toujours été le cas. En 2015 par exemple, seule l’Ablogui procédait de la sorte, et de notre côté lorsque nous lancions #Guineennedu21esiecle, c’était l’une des premières campagnes féministes utilisant le canal digital dans le pays. Nous voulions bousculer les codes du 8 mars chez nous en lançant cette campagne numérique. Avant d’en faire un collectif à caractère résolument disruptif, nageant à contre-courant des procédés actuellement utilisés en Guinée. La façon douce longtemps mise en pratique par les ONG – caresser dans le sens du poil des machos, sexistes invétérés qui ne veulent pas renoncer aux privilèges qu’une société leur offre en attendant qu’ils changent d’eux-mêmes – ne m’intéressait pas.
À mes yeux, que le changement escompté vienne de la gent masculine guinéenne elle-même relevait d’une utopie qui ne disait pas son nom. Les femmes devaient plutôt arracher leur place à la sueur de leur front. Je voulais durcir le ton de notre collectif, générer une pression sur l’État pour qu’à terme, il soit par exemple obligé de pénaliser la pratique des MGF. Je voulais scandaliser l’opinion nationale par des actes osés que nous poserions, mais aussi à travers une médiatisation exacerbée des horreurs que subissent les Guinéennes. Choquer les gens au point que la société se réveille et réalise la laideur des conditions de vie des Guinéennes :
- La Guinée fait partie des 10 pays où il fait moins bon d’être écolière dans le monde selon un classement de l’ONG One.
- La Guinée fait partie des 3 pays au monde à le plus pratiquer l’excision, selon l’ONU.
Et ce ne sont que deux classements parmi d’autres où la position de la Guinée fait froid dans le dos. En décembre 2012, six hommes avaient violé une étudiante de 23 ans alors qu’elle se trouvait dans un bus de New Delhi avec son petit ami. La victime est morte de ses blessures. Cette affaire avait révulsé le pays. Elle a permis en outre, de mettre au jour les violences subies par les femmes en Inde et l’indignation collective a abouti à des mesures prises par le gouvernement : formation du personnel de police, accusé d’être insensible, à mieux évaluer les plaintes reçues sans culpabiliser les victimes, augmentation du nombre de bus la nuit, plus de patrouilles de police sur les trajets très fréquentés par des femmes.
Je suis persuadée que dans certaines circonstances, il faut brutalement et de manière créative exposer la réalité pour provoquer un électrochoc en vue d’un changement. C’est ce qu’il s’est passé en Inde. La société civile et les structures de défense des droits de l’Homme ont savamment su « tirer parti » d’un acte odieux pour s’imposer sur l’État, et exiger des réformes avec vigueur. Elle ne s’est pas contentée de former, de sensibiliser à travers des manuels, elle n’est pas restée dans la théorie. C’est le sort que je veux pour le collectif Guinéenne du 21e siècle : être une organisation qui agit durablement.
Avec Guinéenne du 21e siècle, nous voulions sortir de ce conformisme de l’activisme féministe dans lequel les institutions en Guinée se complaisaient.
Mais la réalité est toute autre
Armées de bonne volonté, depuis la création du collectif nous avons mené plusieurs actions sur le terrain après la campagne numérique initiale qui nous a permis d’asseoir une certaine notoriété. Nous avons sensibilisé et éduqué (puisqu’il faut bien passer par là) via des ateliers de formation à Conakry, mais aussi des jeux éducatifs axés sur la culture du féminisme en Afrique avec des lots à gagner. Nous avons initié des campagnes contre le viol, aidé à collecter des fonds pour des personnes atteintes de cancer, notamment du cancer du sein. Nous avons joué la carte de la provocation en organisant un marathon intitulé #1Km1Droit en pleine capitale, où nous avons invité les Guinéens à se rappeler de leurs concitoyennes des zones rurales qui parcourent des dizaines de kilomètres pour avoir accès à de l’eau potable, à un dispensaire ou à une école, Guinéennes oubliées des politiques publiques. Il s’agissait de courir en ayant affiché sur son dossard le droit pour lequel on faisait ses kilomètres. Mme Sanaba Kaba, qui était alors ministre de la Promotion féminine, m’avait formellement demandée dans son bureau de ne pas organiser d’événement le 8 mars à Conakry mais de donner la priorité aux « activités initiées par le gouvernement ». Mais nous y sommes tout de même allées, le marathon s’est tenu, car notre but était d’interpeller le gouvernement, avec ou sans son accord.
Malgré ma volonté de rester le plus original possible pour intéresser les jeunes aux droits de la femme, je me suis rendue compte après un peu plus d’un an d’existence du collectif combien il est facile de basculer dans la face obscure du militantisme. En effet, si l’on n’y prend pas garde, on peut très vite se contenter de peu et donc de rien dans ce domaine qui nécessite pourtant de mobiliser des efforts considérables. Une formation donnée ici et là de temps en temps, des campagnes lancées quelques fois sur Facebook suffisent parfois à donner le sentiment du devoir accompli quand sur le terrain, des milliers de jeunes filles attendent qu’on fasse plus, mille fois plus pour elles. J’ai réalisé qu’il était très simple de devenir comme ces ONG à qui je reprochais avant leur inaction, archaïsme, institutionnalisme et lourdeur. Ces ONG pour qui quelques apparitions à la télé et quelques accords signés avec le ministère de la femme et de l’enfant autour d’une mission ponctuelle donnaient la latitude de se targuer de faire avancer les choses sur le territoire.
Lorsque j’ai été élue à la tête du collectif, je me suis promise que Guinéenne du 21e siècle ne serait pas une énième ONG ou association pour les femmes à rejoindre le tas, mais que le collectif se démarquerait par son originalité, sa capacité à fournir des solutions pérennes et à les matérialiser.
Aujourd’hui, lorsqu’on veut lancer une action précise, on pense aussitôt à sa déclinaison digitale. C’est une excellente chose mais je pense qu’il faut aller plus loin. Il y a quelques mois par exemple, un de nos membres voulait démarrer une campagne digitale pour un sujet qui faisait l’actualité et passionnait les foules. Après lui avoir demandé quel était son objectif final en réalisant une telle action, la jeune femme m’a répondu qu’elle voulait emmener le gouvernement guinéen à agir. Je m’y suis opposée car la campagne numérique n’était pas le meilleur moyen pour cela, et que cette action aurait mobilisé de l’énergie dépensée inutilement. Il ne suffit pas de faire du bruit pour en faire, mais bien parce qu’on pense que cela peut être pertinent à un moment-clé. La paresse aurait voulu que nous nous engagions dans une campagne inefficace juste pour montrer que nous aussi, nous faisions quelque chose à ce moment-là. J’ai demandé à ce membre déçu par mon refus de réfléchir à une méthode plus adaptée à cette problématique et qui sera productive, même si cela prend plus de temps.
C’est bien le danger vers lequel tend l’activisme en Guinée aujourd’hui. En plus des personnes qui s’y lancent par opportunisme, l’activisme est devenu mimétique, un phénomène de mode dépourvu d’originalité mais aussi de conviction et in fine de résultats. Ce sont quotidiennement les affres contre lesquelles nous nous battons au sein du collectif Guinéenne du 21e siècle.
C’est parce que nous voulons laisser notre empreinte sur l’avenir de milliers de jeunes Guinéennes que nous allons démarrer au premier trimestre de 2018 des travaux de révision des lois guinéennes qui contiennent de nombreux passages sexistes. Selon le code civil guinéen, par exemple, un homme peut divorcer pour adultère commis par l’autre partie mais pas une femme. L’arsenal juridique guinéen est parsemé de petites dispositions, qui au premier abord passent inaperçues mais qui ont de fâcheuses conséquences sur la vie de millions de Guinéennes.
A la suite de cette étude approfondie, nous proposerons des modifications des articles concernés et défendrons avec la dernière énergie ces amendements que nous soumettrons à l’Assemblée Nationale Guinéenne.
Le militantisme se vit, il est actif. La société civile doit ressembler à un gigantesque think tank d’où émane perpétuellement des solutions, sinon elle faillit à sa mission.
Commentaires