Coup de foudre à Conakry (2)
La sonnerie stridente du réveil la tira de son sommeil, il indiquait six heures trente. Elle avait encore le temps se dit-elle, elle ferma les yeux, prête à se rendormir quand son téléphone se mit à vibrer. Elle se leva, visiblement agacée.
_Décidément les cieux ne veulent plus que je me rendorme… dit-elle en observant l’écran de son téléphone, Hafsatou je le savais, maugréa-t-elle
_ Oui, dit-elle en décrochant…
_ Christine, ça y est tu es debout ? Tu n’oublies pas ton entretien d’aujourd’hui hein?
_Ne me dis pas que tu appelles pour me réveiller?
_On sait toutes les deux que tu es une championne du dodo alors bon….je prends les devants.
_Voyons Haf’, il n’est que six heures du matin c’est encore loin huit heures.
_Oui oui je n’en doute pas, mais il vaudrait peut-être mieux que tu te lèves tout de suite que tu enlèves cette nuisette et que tu commences à te préparer….Tu ne crois pas ? Je suis sûre que tu comptais te rendormir.
_Pas du tout, nia-t-elle en souriant.
_On va dire que je te crois, bon il faut que j’y aille le bébé n’arrête pas de pleurer. Bonne chance ma grande.
_OK. merci ma chérie, embrasse le bébé et Ousmane de ma part.
_Pas de problème. Et au faite ?
_Humm ? répondit négligemment Christine…
_Tu as intérêt à lui taper dans l’œil au bonhomme, fais lui tourner la tête, soit convaincante tu vois quoi?
_HAFSATOUU !
_Ben quoi? rétorqua l’intéressée l’air de rien.
_Tu es vraiment incorrigible! fit-elle dans un rire sonore, tu ne changeras donc jamais. D’accord mon commandant, reçu cinq sur cinq.
_Bisou.
Lorsqu’elle raccrocha Christine constata que cette fois, elle était vraiment réveillée. Franchement depuis neuf ans qu’elles se connaissaient, depuis le lycée, Hafsatou était toujours la même. Le mariage, l’âge ou la maternité ne l’avaient nullement assagie. Elle retomba dans ses souvenirs sans trop le vouloir. Quand elles étaient à l’IAE, Hafsatou n’avait pas hésité un seul instant à draguer le mec de la cafétéria pour organiser la grande soirée pour son anniversaire, ce qui se révéla être un succès. Lors de la fête, elle monta sur le comptoir et enleva son petit haut. Les garçons s’enflammèrent et la salle avec. Un streap-teaser était venu pour « mettre un peu de piment » d’après ses dires, comme si la fête n’était pas assez pimentée comme ça et c’avait été l’explosion. Ce qui lui valu le surnom de « Reine des Party ». Les anniversaires, les surprises, les excursions, les organisations des bals de fin d’année, tout passait par elle au bureau des élèves. Dés qu’elle n’était pas de la partie la moitié de l’école boudait la soirée en question. C’était vraiment super cette époque.
_Zut! Sept heures une minute!
Heureusement, se dit-elle, qu’elle avait préparé la tenue qu’elle devait mettre. Elle avait opté pour un tailleur, veste chemise et pantalon. Elle tira ses cheveux en arrière dans un coquet chignon qui lui donna instantanément un air professionnel. Ses cheveux étaient blonds sur certaines mèches et bruns sur d’autres. Pour cette raison, on lui demandait très souvent si elle s’était faite une coloration. Christine s’habilla en sifflotant, elle était d’humeur joyeuse mais redoutait quelque peu ce rendez-vous avec Mr. Traoré. Elle savait son Curriculum Vitae prometteur mais elle avait une boule qui lui nouait le ventre. En arrivant dans la salle de séjour elle se demanda quelle paire chausser. Des chaussures à talons bien évidemment mais lesquelles? Christine alluma la télévision à écran plat qu’elle avait rapporté de Paris, France24 diffusait un journal télévisé. Il fut une période où elle voulait être journaliste elle aussi, mais elle avait très vite abandonné l’idée, trop attirée par le sens des affaires.
Finalement, elle opta pour des escarpins blancs assortis à sa tenue, elle avait tout son temps, se dit-elle donc elle petit-déjeuna calmement en regardant les images défiler. Il fallait vraiment maintenant qu’elle cherche une femme à tout faire parce qu’elle n’aurait plus assez de temps pour entretenir la maison, si toutefois elle arrivait à décrocher le poste de coordinatrice de projets se rappela-t-elle. Un coup d’œil jeté à la pendule lui rappela qu’il serait bientôt huit heures.
Elle décida de partir maintenant, connaissant les embouteillages monstres qu’elle trouverait assurément sur la route. Elle prit son sac sur le pouf, éteignit la télévision puis tourna la serrure.
Elle descendit les escaliers un peu précipitamment manquant une marche, elle faillit s’écrouler sur le sol carrelé. Elle marqua une pause, haletante, elle devait absolument se calmer avant cet entretien. Arrivée au parking, elle entra dans sa voiture, un petit 4×4 tout terrain.
Il était huit heures dix lorsqu’elle pénétra dans l’enceinte de Global Alumina. Elle ne perdit pas de temps en contemplation, déjà trop habituée aux grandes vitrines, au design épuré des grandes boîtes. En revanche elle perçut une certaine sérénité qui lui plut dans cette atmosphère. Atteignant la réception, elle entreprit de se présenter :
_Bonjour, Christine Dia j’ai rendez-vous avec Mr Traoré et en vérifiant son bracelet-montre Dior, à huit heures quinze.
_ Christine Dia c’est ça ? Asseyez-vous je vais annoncer au Directeur général que vous êtes arrivée, dit-elle en désignant du bras la salle d entente…
Christine suffoqua, il devait y avoir erreur. Elle pensait qu’elle aurait affaire au chargé des ressources humaines la personne qui s’occupait des embauches pas au Directeur lui-même. Mon dieu qu’allait-elle faire ? Elle ne s’était pas préparée à voir le boss.
_Excusez-moi, je n’ai pas rendez-vous avec le Directeur général mais avec Mr. Traoré, je crains qu’il n’y est incompréhension.
_ Eh bien il s’agit de la même et unique personne ici en tout cas, lança la secrétaire le regard hostile.
Désemparée, elle n’insista plus.
_Très bien, merci.
Prenant place dans la salle d’attente, elle prit fébrilement un des magazines qui se trouvaient sur la table basse et commença à le feuilleter. Bientôt le magazine reprit sa place initiale. Il lui était impossible de se concentrer. C’était comme ça à chaque fois qu’elle avait un entretien pour une embauche mais alors là c’était deux fois pire. Elle sentit son téléphone vibrer dans son sac, intriguée par le numéro masqué elle se demanda qui cela pouvait bien être :
_Allo? Christine Dia à l’appareil.
_Cristhy? C’est toi? Comment vas-tu?
Elle n’en revenait tout simplement pas c’était son frère Habib, lui qui n’appelait presque jamais.
_Habib? C’est vraiment toi?
_Eh oui ma chérie, alors on a oublié qu’on a un frère ?
_Mais pas du tout fil-elle en riant, au contraire c’est toi… Je vais très bien et toi? Dans quel coin es-tu caché encore? Tunis? Tripoli? Alger? Ou est-ce un bled tellement paumé qu’il n’a pas de nom cette fois? Le taquina-t-elle les yeux brillants de joie.
_Oh je suis actuellement à Marrakech il y a une fouille archéologique ici qui a débuté il y a environ quatre jours. T’imagines Cristhy? C’est fou ce qu’on a déjà découvert depuis le début, c’est tout bonnement fantastique.
Christine reconnaissait bien son frère. Depuis la maternelle Habib était obsédé par les civilisations nord africaines. A l’université il s’était spécialisé en histoire et était devenu professeur d’histoire dans une université de la place. C’était sans compter sa nature aventurière et son goût pour le risque. Alors du jour au lendemain il avait rendu sa démission et fait ses bagages. Avec ses économies, il avait commencé à parcourir l’Afrique du Nord. Elle se rappelle de la tête que faisait son père lorsqu’Habib lui avait annoncé sa décision. Son père était très déçu car secrètement il nourrissait l’espoir que son fils continue à développer la société qu’il avait créée à côté de ses activités à l’ambassade. Une vive dispute éclata puis finalement Habib promit à son père qu’il reviendrait continuer les affaires lorsque celui-ci commencera à sentir l’effet de la vieillesse . Dès lors, Habib avait commencé son aventure ne conservant jamais un même numéro de téléphone plus d’une semaine. Christine était fatiguée de tout le temps supprimer et réenregistrer de nouveaux numéros donc il avait été convenu que c’est lui qui appelerait à chaque fois qu’il changeait d’adresse. Il appelait rarement, parfois vivant dans un coin de l’Afrique complètement coupé du monde, dépourvu de téléphone à plus forte raison d’internet.
_Oh ça m’a l’air très intéressant tout ça, alors que me vaut l’honneur de cet appel depuis le temps où tu fais le mort…
_Cristhy, dit-il d’une manière lasse, comme s’ils en avaient parlé des milliers de fois, tu sais bien que je ne suis pas à un endroit fixe. C’est uniquement pour cela que je ne peux te téléphoner plus fréquemment. Je t’appelle pour te souhaiter bonne chance, maman m’a dit que tu avais un entretien ce matin?
Christine entendit son nom, tournant la tête elle vit la réceptionniste lui faire signe.
_Mademoiselle Dia? Mr Traoré est apte à vous recevoir, troisième étage deuxième porte à gauche.
_ Merci.
Elle se leva et se dirigea vers l’ascenseur.
_Oui Habib, je t’entends bien. Oui en effet je vais à mon rendez-vous là, je suis obligée de raccrocher.
_…
_Oui tu me rappelleras. Merci et je t’embrasse.
L’ascenseur la mena à bon port et Christine trouva la porte du bureau sans grande difficulté. L’appel de son frère l’avait beaucoup aidée, elle était beaucoup plus détendue. Il y avait écrit en petites lettres capitales sur une plaque métallique dorée et rectangle : Ibrahim Traoré, Directeur général Global Alumina Group.
Elle inspira un grand coup et ouvrit la porte, la brise glacée de la climatisation lui fouetta le visage. Christine reporta son attention sur la salle, elle était décorée avec un dosage certain. Il y avait deux tableaux accrochés sur le mur, l’un d’eux représentait une femme africaine les seins nus et clairs qui portait une calebasse en équilibre sur la tête. Le plancher était d’une propreté surprenante. Elle aurait pu s’y mirer. Christine regarda enfin le locataire de ce bureau, elle n’en revenait pas. Elle cligna des yeux encore mais c’était bien lui, le jeune homme de la plage. Comment était-ce possible?
De son côté Ibrahim Traoré l’observa, mais il avait déjà vu ce visage! Oui, il en était certain mais où? Merde se dit-il! Où est ce que je l’ai vue? Mais oui exactement, c’était ce week-end même, le dimanche. C’était la fille de la plage, celle à qui il avait parlé…
_Vous? vous êtes Mlle Dia? Demanda-t-il.
_ Euh…Oui c’est bien moi, répondit Christine un peu déroutée par les événements.
_Alors là, je n’arrive tout simplement pas y croire, la vie nous en fait des surprises, Mlle chocolat tout noir dans mon bureau! enchaîna-t-il dans un sourire ravageur.
Christine éclata d’un rire franc.
_Ainsi donc, ce serait toi qu’Amadou m’aurait recommandé?
Elle marqua une pause. Pour qui se prenait-il pour la tutoyer ? Elle ne se rappelait pas lui avoir permis de le faire .
_Oui, c’est bien moi qu’on vous a recommandé, dit-elle d’un trait sans se départir de son calme. Elle essayait de ne pas bégayer.
Christine était la pour du travail et ne permettrait aucune familiarité. Elle était ici pour un but précis alors qu’on y aille au fait, se dit-elle. Comme il ne se décidait pas à se lancer dans l’entretien d’embauche, Christine entreprit de commencer elle-même, elle ne supportait plus ces yeux qui la transperçaient.
_ Euh… commença-t-elle doucement, Amadou m’a dit qu’il vous avait remis mon dossier jeudi, j’imagine que vous avez eu le temps de l’étudier.
Ibrahim l’observa. Elle était courageuse, elle avait l’air d’une petite chatte prête a bondir si on l’agressait. Ses lèvres alors se fendirent dans un sourire, elle n’avait donc pas apprécier le tutoiement? Qu’a cela ne tienne il continuerait le vouvoiement. D’habitude quand de jeunes gens venaient chercher du travail c’était lui qui les intimidait et leur anxiété irradiait de tous leurs pores. Mais cette fois c’était différent, c’était elle-même qui commençait l’interrogatoire.
De son côté Christine se demanda la raison de ce sourire qui ne quittait plus son visage, elle n’avait pourtant rien dit de drôle à ce qu’elle sache.
_ Oui, d’habitude c’est le responsable des ressources humaines qui s’occupe de tous les recrutements mais comme votre cousin me l’a vivement demandé je me suis senti obligé de personnellement m’occuper de votre cas, expliqua-t-il avec un regard appuyé.
Christine eut l’impression que cette phrase voulait signifier autre chose. Le faisait-il exprès pour la déstabiliser ?
_ Pour en venir au fait oui tout à fait, je l’ai étudié et je reconnais que je suis plutôt admiratif si je comprends bien vous parlez au total quatre langues? Avez fait votre cursus universitaire à l’IAE de Paris ?
_Oui, repondit elle en essayant de garder son sang froid.
Ibrahim s’enquit de ses expériences professionelles passées et Cristhine les détailla tour à tour. Les questions d’Ibrahim étaient pertinentes mais elle s’éfforcait de rester concentrée.
_Et bien c’est parfait, parce que vous êtes une cousine à mon très bon ami et seulement pour cela on va vous accorder une période durant laquelle on va vous tester. Une période d’essai si vous préférez et si vos compétences sont à la hauteur de vos diplômes je vous engage. Sommes-nous d’accord?
_ Parfaitement. Christine exultait à l’intérieur d’elle même, enfin on lui donnait l’occasion de faire ses preuves.
_ Côté installation, on disposera pour vous un bureau attenant à celui de la coordinatrice de projets actuelle, pour que vous soyiez au courant de tous les dossiers. En espérant ainsi que vous serez rapidement à jour.
_Je le serai. Affirma-t-elle sans se laisser démonter.
_Avez-vous d’autres questions ?
_Non pas vraiment, peut-être une seule, pourquoi devez-vous vous séparer de la coordinatrice actuelle ?
_Parce qu’elle sera bientôt à la retraite.
_Ah!… fit elle en le fixant. Quand puis-je commencer?
_ Donnez-moi le temps de m’occuper de tout ça et soyez là demain matin à sept heures et demi.
_Très bien merci.
Christine s’apprêtait à se lever quand il l’arrêta :
_Un instant ?
_Oui?
La sonnerie du téléphone retentit.
_Une seconde, dit-il en décrochant. Allo, oui Fatim? Ah non je n’ai vraiment pas le temps là, que veut-elle?
_…
_Bien faites la entrer, je vais m’en charger moi-même, merci.
_Alors je disais reprit-il, je tenais à vous préciser que les idylles entres collègues ne sont pas permises au sein de l’établissement.
_Pardon ?
Elle n’avait pas rêvé. Eh bien si c’était une insulte elle ne se laissera pas faire.
_Sauf votre respect Mr Traoré, sachez que la dernière chose que je ferai serait de sortir avec ces cadres qui se prennent pour des personnes intéressantes et trop au sérieux alors qu’en faite tout leur travail à longueur de journée se résume à jouer les gigolos à travers la ville.
Voici de quoi rabattre son caquet, jubila-t-elle intérieurement. Mais dès que ces mots franchirent ses lèvres elle les regretta. Elle était peut-être allée un peu trop loin. Mr Traoré la fusilla du regard, les sourcils froncés et le front plissé. Il semblait furieux et elle se dit que ç’en était fini de sa carrière encore que ce n’en était même pas une. Voilà à cause de sa langue bien trop pendue, il allait la prendre pour une effrontée et elle n’aurait plus de période d’essai ! Elle baissa les yeux et son visage vira au rouge.
Ibrahim éclata de rire. Décidément avec celle-ci, il aurait du fil à retordre. Christine releva la tête et l’observa.
Dieu merci il ne l’avait finalement pas si mal pris…
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