Quel verdict pour Blaise ?

Comme je le disais dans un tweet récemment publié, il flotte les amis… il flotte, il flotte comme un parfum de printemps Burkinabé dans les airs. Eh oui, doux parfum de la liberté et du divorce d’un mariage dont on n’en pouvait plus. Un mariage où se sont mêlés infidélités, brutalités, tromperies et mensonges pour ne citer que ces vices! Chers amis c’est l’heure de l’insubordination ! du refus de la prétendue autorité! C’est l’instant T de la délivrance! Maintenant qu’on est en plein dedans (comme on dit chez moi) et qu’on a mis les deux pieds joints dans le plat, dites moi qui peut prétendre nous arrêter? Qui porte son Bakouti* assez haut pour nous dire que faire pour notre patrie et exiger que l’on se contienne. Cet être n’est pas né, pas même sa mère à plus forte!
Car voyez-vous aujourd’hui on est tous burkinabé à part entière, je le suis, tu l’es , nous le sommes tous! Croyez-moi. Du fond de ma ville, je sens l’effervescence de mes compatriotes à l’heure où s’écrit l’histoire d’un pays qui pendant vingt-sept ans est soumis à la folie des grandeurs d’un homme démesurément grotesque qui pense pouvoir nous faire avaler un énième tour de sac. Mais pour qui se prend Blaise Compaoré, le superman-supermédiateur d’une Françafrique qui a de beaux jours devant-elle ? Non content lors d’un coup d’Etat dûment ficellé d’avoir briguer le pouvoir au nez d’un Thomas Sankara (que toute une génération africaine a en adoration) et dont on l’accuse d’avoir prémédité et commandité le meurtre, Compaoré s’est mis en tête de ne point sortir par la grande porte de l’histoire quand bien même il en serait entré par une des plus petites, minuscule.
La croyance populaire (persistante) veut qu’il ait trahi son ami pour accéder à la présidence du Burkina Faso, anciennement Haute-Volta. Un très bon article de RFI (que je vous conseille de lire) revient sur cette course au pouvoir de façon chronologique : C comme Compaoré: abécédaire d’un président contesté .
Mais pourquoi un si soudain intérêt pour l’un des plus longs mandat présidentiel africain au point de reléguer au second plan ces derniers jours la montée du virus Ebola, l’un des plus mortels ayant secoué l’Afrique jusqu’à nos jours. C’est pour la simple raison que pour les Burkinabés, et que pour toute démocratie que l’on voudrait immaculée, Blaise Compaoré est une sorte d’Ebola dont on n’arrive pas à guérir (on lui a d’ailleurs gaiement attribué le sobriquet d’Ebolaise, n’est ce pas merveilleux ? 🙂 ) . Mais comment se soigner quand lors de toutes nos tentatives, le mal s’aggripe encore plus à nous tel un parasite qui suce nos plus profondes entrailles ? Vraiment trop c’est trop ! De Blaise on n’en veut plus, ni à Bobo Dioulasso, ni à Ouagadougou, ni à Banfoura, ni à Conakry, ni à Dakar, et j’en passe. Puisqu’il s’agit bel et bien d’un raz-le-bol panafricain !
A l’heure où je publie ce billet, les manifestants ont saccagé l’Assemblée nationale où devait se tenir aujourd’hui même 30 octobre la réunion de députés qui devait examiner le projet de loi portant sur la révision de la Constitution, et plus précisément l’article 37 de celle-ci permettant au président Blaise Compaoré une nouvelle candidature aux échéances électorales. Qui est fou ? Tout est bon à prendre pour rester président de nos jours. Quand à la volonté du peuple (criante dans ce cas-ci) qui est par définition même l’essence de la démocratie, le président Compaoré s’en moque. A l’heure actuelle même, ça doit être sa dernière préoccupation, ne vous en déplaise.
Mais ce phénomène n’est pas nouveau, c’est même très à la mode de modifier la constitution pour rester aux commandes sur le continent africain de nos jours . Je me sens personnellement concernée par ce qui se passe au Burkina Faso parce que cet épisode me rappelle inéluctablement l’ancien président militaire guinéen Lansana Conté qui avait procédé de la même manière pour gouverner jusqu’à sa mort naturelle. Blaise espère-t-il peut-être parvenir à cet exploit ? Hier encore, toute enthousiaste je participais aux massives marches organisées pour protester contre Conté à Conakry. Très jeune à l’époque je mesurais pourtant déjà la portée de ce geste, la possibilité de choisir pour mon pays. Et ce pouvoir, chaque citoyen doit le posseder pour sa patrie. L’avenir est en marche et personne ne saura y mettre un terme avant sa destination finale. Il peut s’essouffler face à une autorité sourde aux revendications de son peuple, mais il demeurera jusqu’à expiration prévue. C’est en tout cas ce que l’on souhaite au Burkina Faso, pays des Bobodjoufs*.
Quoi qu’il en soit la résistance se mobilise, sur Internet via les réseaux sociaux (sur Twitter, les internautes Burkinabés et ceux qui les soutiennent se sont regroupés sous le hashtag #lwili, le foulard aux hirondelles, un pagne devenu symbole). Mais les plus belles prouesses se déroulent bien entendu sur le terrain, là-bas au Burkina-Faso où la mobilisation forme un bloc de béton qui j’espère ne faiblira pas. Il est hors de question que l’on se laisse faire ! Il en va de la fierté de toute une Afrique.
Ebolaise énivré par le pouvoir, gonflé par ses pseudos missions de médiation (très controversées) dans les pays de la sous-région en mal avec la démocratie, se prend désormais pour un demi-dieu. Il a certainement oublié (ou refuse de voir) le sort qui a été réservé à ses pairs. Les burkinabés ne rechigneraient pas à l’idée de le lui rappeler et toute l’Afrique jeune avec, pas celle d’une génération périmée, qui se prétend révolutionnaire mais mimée par la corruption et un affairisme alarmant. On en a marre d’être pris pour un troupeau de moutons que l’on peut emmener n’importe où, le plus souvent à l’abattoir. Tout porte donc à croire que « le médiateur » a besoin d’une médiation.
Le boycott, les grèves, les manifestations, les marches sont les armes utilisées pour se faire entendre et malheur à celui qui douterait de leur force. Elles ont d’ailleurs déjà commencé à faire leurs preuves, on m’annonce à l’instant que le gouvernement burkinabé vient d’annuler l’examen du projet de loi. Êtes-vous prêt Compaoré? On dirait que le bras de fer ne fait que commencer…
*Bakouti : vaste pantalon en tissu dont se vêtissent les hommes de l’ethnie soussou en Guinée.
*Bobodjoufs: célèbre série humoristique burkinabé.
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